J'Écoute
Une création sonore de
Sidonie Ale
Dans le cadre du concours Mirabal,
financé et soutenu par la Maison des femmes et la Commune de Schaerbeek
(c) Cornelia PARKER RA, Being and Un-being, 2020
Allo ?
Oui je vais bien…
Hier soir ? j’étais dans mon lit,
Oui je dors, j’ai dormi
J’ai beaucoup dormi…Toute la journée…
Ce sont les journées qui passent qui sont…difficiles
Mais comme j’ai l’habitude de le dire tant que la petite aiguille compte les heures et que la grande aiguille montre l’exemple, il y a toujours l’espoir.
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Allo ???
Allo ???
On a été coupées…
Je te disais….
Oh peu importe…
C’est drôle, j’ai ta voix dans mon oreille…au creux de ma main. J’approche ma paume à mon oreille, comme un coquillage, et j’entends…
Pourquoi je suis partie ?
J’ai quitté…J’ai préféré quitter.
Oui tu as entendu parler de l’histoire du vase. Bien sûr, qui dans le magasin ne l’a pas entendue ?
Ma version ? C’est gentil de demander.
Oui j’apprécie. Ecoute c’est une histoire très bête, je ne vois pas pourquoi en faire toute une histoire.
Le vase trônait sur une espèce de colonne d’exposition.
On avait dit au merch’ qu’on n’en voulait pas de ce vase. Qu’il nous servait à rien et qu’il aurait simplement fini par gêner tôt ou tard.
Mais le merch’, il le voulait, et parler lui il s’en foutait. Le vase avait été acheté. Absurde. Et puis il avait rajouté des néons pour camoufler le néant. Y a plus rien à regarder de toute façon.
Tu le disais aussi à l’époque, il n’y a plus rien à regarder…
Et le vase…et bien, il trônait. Juste là, bleu, entre les vêtements et les chaussures.
N’avait rien à faire là que je veux dire !
Bleu roi, large, moulé, avec des reliefs. J’avais quand même remarqué les reliefs parce qu’ils bordaient le vase. Tout autour. D’un coup ce n’était plus seulement qu’un vase. Ce que je veux dire, c’est que j’ignorais s’il s’agissait ou non d’un vase de valeur. On ne remarque plus rien…Les choses échappent !
On avait dit à F. que ce vase, il pouvait bien rester ici ou ailleurs, mais qu’ailleurs c’était quand même mieux.
Finalement, il était resté là et il n’avait pas bougé.
Fixe, sur sa colonne vulgaire, j’avais fini par m’habituer, jusqu’à ne plus le voir du tout, exactement comme Y.! Pareil. Lui non plus et bien je ne le voyais plus. Disparu, il s’estompe sous les néons… Je suis une idiote, hein ! …
Allo ? Allo ?
Qu’est ce que je disais ?
Oui, le vase.
Finalement, on s’y était fait…
Et puis là, sans rien qui n’indique un mouvement, pas même un tremblement ou un simple arrachement…Le vase a explosé !
Je t’assure, littéralement explosé !
C’était impossible.
Impossible !
Il a explosé, des débris ici et là, infimes sans doute, mais dans une chaussure d’exposition et c’est vite fait ! S’écorcher !
La fissure n’existait pas, j’en aurais mis ma main à couper. Il n’y a eu aucun impact, rien pouvant engendrer ce…ce quoi ? Un accident ?...Un accident qu’on dit, c’est quand même pas un attentat...Alors oui, c’est « accident » qu’il faut dire.
Alors…
Alors j’ai pas fait grand-chose. Sur le moment je veux dire. J’avais des cintres plein les bras et ma peau des bras, ma vielle peau fripée que tu connais, elle se collait au plastique.
J’ai fermé les yeux, l’empreinte du vase revenait.
Une douleur dans la paume, j’ouvre et je vois un bout du vase, bleu roi que j’ai serré au sang.
Et je vois les bleus de mes bras. Je vois l’empreinte d’Y. sur moi. La peur qu’il recommence et la trouille qui bouche les traces, qui fait qu’on perd le nord.
J’ai quitté le magasin sans quitter des yeux le vase, dans ma tête bien sûr. En réalité, il était explosé. Partout. Mais moi, je le reconstituais. Je revoyais mon ventre arrondi et les bleus.
Quitter Y. était la solution contre le bleu du vase.
Et maintenant ?
Je cherche à retrouver ma forme…
Ça prend un temps infini. Mais tant que la petite aiguille compte les heures et que la grande aiguille montre l’exemple, il y a toujours l’espace pour se rassembler.
Je ne peux pas continuer mais je vais continuer
Non tu sais, je ne suis jamais seule
Il y a la personne qui travaille à la police, qui vient prendre des nouvelles régulièrement,
Il y a la personne qui travaille à l’hôpital et qui guérit peu à peu ce qui a été fragilisé,
Il y a la personne qui travaille à l’épicerie qui me voit et me parle chaque jour
Ah oui aussi, il y a la personne qui habite de l’autre côté, je ne vois que ses mains. Elle prend son café très tôt le matin et l’odeur me réveille. Sa délicatesse m’aide.
Jamais seule non je te dis. Ces présences-là calment mes fissures.
Toi aussi tu m’es nécessaire.
Ton écoute, ce coquillage qui emporte mes paroles avec lui, ça m’est nécessaire…
Le courage prend du temps
Oui, je t’embrasse